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Comment la comptabilité peut-elle contribuer au maintien des écosystèmes ?

19/09/2023

Synthèse du Mémoire de Salomé NOCQS en Master in Management M2 - Major Sustainability and Social
Année 2021-2022 Sous la supervision du Professeur Etienne Krieger

 

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi 1 + 1 était égal à deux, pourquoi des droites parallèles ne se coupaient jamais, pourquoi le ciel était bleu et non pas violet, ou encore pourquoi dit-on « Bonjour » lorsqu’on rencontre quelqu’un et non pas « Au revoir » ? Et bien, au même titre, vous êtes vous déjà demandé pourquoi le résultat comptable d’une certaine entreprise était de 23 542€ et non pas 32 876€. Drôle de réflexion, mais je vous encourage à poursuivre la lecture, cela pourrait attiser votre curiosité. Cette réflexion a émergé en deux temps :

  • Le temps du constat : notre société repose sur un modèle économique dysfonctionnel causant la dégradation / destruction des écosystèmes. Pour autant, notre société dépend de ces écosystèmes et des « services écosystémiques » rendus (MEA, 2005) tant d’un point de vue approvisionnement (eau, nourritures apportées par les écosystèmes), que dans ses services de régulation (pollinisation).
  • Le temps de la remise en question : se pourrait-il que les règles du jeu de notre modèle économique aient été mal définies en premier lieu ? Toutes les parties prenantes, y compris l’environnement, ont-elles été vraiment prises en compte ? Et si ce n’est pas le cas, les équations de notre modèle économique peuvent- elles être modifiées pour mieux intégrer l’environnement ?

Pour redéfinir les règles du jeu, quoi de plus approprié qu’un outil au fondement des échanges économiques et sociaux ? Lequel ? La comptabilité.

Elle se définit comme « un système d’organisation de l’information financière permettant de saisir, classer, enregistrer des données de base chiffrées et présenter des états reflétant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entité à la date de clôture » dans le Plan Comptable Général. Cette retranscription comptable rend possible le besoin des Hommes de faire société. Elle structure par-là leurs échanges et vient instituer les droits et obligations de chacun et définit qui est responsable, de quoi faut-il rendre compte et comment. Elle incarne un ordre moral au sens où elle contribue à définir quelle valeur attribuer aux choses. Plus qu’un simple outil de rationalisation, elle est un outil de discussion. Pour autant, elle fait fi de toute considération écologique à ce jour.

Ce mémoire a pour objectif de défendre le maintien des écosystèmes, en agissant sur le périmètre de l’entreprise au prisme de l’outil comptable. La clé de voute du problème est donc de savoir comment la comptabilité, par sa fonction de saisie de données, de retranscription mais aussi d’outil de dialogue peut contribuer à cette ambition. En vue de répondre à cette problématique, cette étude est décomposée en trois temps :

  • Un état des lieux des travaux de recherche en comptabilité environnementale ;
  • L’analyse de l’implantation de la méthodologie CARE au sein d’entreprises ;
  • L’élaboration de recommandations afin de déployer cette méthode plus largement auprès d’entreprises.

 

PARTIE 1 Ma réflexion a Ces travaux permettent de mettre en avant la construction de notre comptabilité, et l’influence qu’exercent nos croyances sur celles-ci. Réciproquement, en observant le monde au prisme de la comptabilité, celle-ci influence la manière dont on le perçoit.

Sur ce premier point, des chercheurs comme Eve Chiapello se sont employés à montrer comment la pratique comptable a varié au cours du temps et des zones géographiques. Dans ce deuxième cas par exemple, elle analyse la construction du résultat comptable d’une entreprise. Ce solde comptable est perçu différemment d’un pays à l’autre. Le résultat est celui des actionnaires dans le capitalisme américain, tandis que dans le système soviétique, le résultat présenté est celui de l’Etat. Ainsi, contrairement au compte de résultat américain, les intérêts et impôts payés à l’Etat ne sont pas pris en compte. Enfin, dans le système autogestionnaire yougoslave, le résultat est celui du personnel, ce pourquoi les charges de personnel ne sont pas prises en compte.

 

Ces travaux permettent de mettre en avant la construction de notre comptabilité, et l’influence qu’exercent nos croyances sur celles-ci. Réciproquement, en observant le monde au prisme de la comptabilité, celle-ci influence la manière dont on le perçoit.

Là est tout l’enjeu, puisque la comptabilité actuelle occulte grandement les écosystèmes. La notion de richesse par exemple se fonde sur la notion de propriété : dès lors qu’une ressource est détenue, les marchés s’en saisissent pour lui déterminer un prix. Mais les marchés ne parviennent à évaluer une valeur qui soit subtile ou qualitative, ce qui est précisément le cas de la nature. En effet, « quelle est la valeur commerciale de l’atmosphère ? D’une rivière propre ? De bébés nés sans malformations liées à la pollution ? » (Bollier, 2001). Autant de richesses absentes de la comptabilité.

Sur la base de ces constats, les chercheurs sont nombreux à avoir travaillé sur de nouveaux outils comptables, et ont dû réaliser une série d’arbitrages afin de répondre à maintes questions : quelle valeur doit être posée sur la nature, doit-elle être monétaire ou non, comment la définir ?

Après une revue des nouveaux outils existants, ceux-ci ont pu être classés en fonction de trois axes : 

 • Le choix d’une soutenabilité forte ou faible (la soutenabilité faible étant à entendre comme la possible compensation de la dégradation d’un écosystème par la restauration d’un autre) ;

•  Le choix d’une matérialité simple ou double (la matérialité simple consistant à quantifier les risques et
opportunités pour une entreprise en lien avec les écosystèmes ; la matérialité double enregistrant l’ensemble
de ces impacts sur les écosystèmes) ; 

• Le choix d’une approche monétaire des écosystèmes ou non.

La méthode CARE Comprehensive Accounting in Respect of Ecology, seul outil a pris le parti d’une approche monétaire, en matérialité double et en soutenabilité forte, a paru être la plus ambitieuse au regard de l’objectif de cette étude de maintien des écosystèmes. La suite de cette étude se focalise donc sur cette méthode.

Un entretien avec la Chaire de Comptabilité Ecologique, portant aujourd’hui cet outil comptable, a permis de définir cinq ambitions pour ce modèle : la prise de conscience, la rationalisation, la médiation, la transformation et la justification.

Toutefois, une fois les objectifs de l’outil établis comme étant en adéquation avec l’objectif de cette étude, il s’agit
de déterminer si son application dans le réel permet vraiment l’atteinte de ces objectifs.

 

PARTIE 2  L’étude terrain, auprès de sociétés en charge d’aider des entreprises à créer une comptabilité CARE et de ces entreprises elles-mêmes, souligne un étiolement des ambitions du modèle au fil de son implantation. Cette étude s’est décomposée en trois objets d’analyse : la phase d’appropriation du modèle théorique par les entreprises, l’implantation à proprement parler et la phase a posteriori.

Ce découpage met en lumière qu’il s’agit, non pas, d’une « mauvaise réception » du modèle par les entreprises mais davantage de complexités en lien même avec son implantation et de difficultés à faire valoir cette comptabilité une fois implantée. Ainsi, aux termes de cette étude, plusieurs freins sont identifiés :
• Des freins techniques : le manque d’indicateurs pour quantifier les capitaux naturel et humain, le manque de méthodologie pour implanter la méthode ;
• Des freins dits matériels, accentués par les freins techniques : le temps et l’argent nécessaires pour mettre en place cette comptabilité, obtenir des mesures fiables etc.

• Un frein macro-systémique lié à l’absence de connaissance et reconnaissance du modèle par les autres acteurs économiques.

En vue d’accroître l’utilité de CARE et de maximiser son usage au regard de l’objectif de préservation des écosystèmes, cette étude a ensuite pris le parti de se concentrer sur la résolution du frein macro-systémique. La suite de l’étude s’emploie donc à étudier précisément ce frein et à tenter de lever cette barrière.

De l’enquête terrain se dégage une conclusion majeure. Chaque entreprise est en fait partie d’un tout, elle appartient à un réseau de nœuds avec lesquels elle s’imbrique : une chaîne de valeur composée de fournisseurs, une industrie faite de concurrents, une offre dictée par les consommateurs et un cadre réglementaire orienté par les  acteurs publics. Toutefois, si l’entreprise ayant expérimenté CARE est la seule, dans ce réseau d’acteurs, à en avoir connaissance et à le maîtriser, cette comptabilité ne peut alors remplir sa fonction de dialogue et d’échange, au fondement même de sa définition et utilité.

Ainsi, une des réponses proposées dans cette étude pour pallier cette limitation est d’implanter la méthodologie CARE non plus par le biais d’acteurs économiques individuels mais par des structures collectives auxquelles ils appartiennent. Ces structures collectives doivent être comprises comme des entités : supervisant un réseau d’acteurs (comme ce peut être le cas de régions, de banques etc.) ou émanant d’un réseau d’acteurs (syndicats, groupement de sociétés etc.).

 

PARTIE 3 Pour éprouver cette recommandation, une étude de cas a été réalisée auprès de la brasserie Jeanlain, entreprise des Hauts de France spécialisée dans la production et commercialisation de bières.

Une rencontre avec le directeur financier a permis d’identifier les différents collectifs dans lesquels la société s’imbriquait et de les classifier en fonction de deux notions : le pouvoir du collectif sur cette organisation et l’adhésion de ce collectif à notre objectif de préservation des écosystèmes. L’idée étant d’identifier quel collectif maximiserait ces deux variables pour une entreprise donnée et lequel serait donc le plus à même d’inciter cette entreprise et le réseau auquel elle appartient d’implanter CARE. Cette méthodologie repose sur un outil développé par Greenpeace, le diagramme des pouvoirs. Sur la base de cette cartographie, trois zones théoriques semblaient pertinentes à étudier pour identifier s’il existait, ou non, un collectif à même d’inciter la brasserie à implanter CARE : 

• Zone 1 : collectif doté d’une force élevée et adhérant à notre vision du monde ; 

 • Zone 2 : collectif doté d’une force importante ; 

• Zone 3 : collectif adhérant fortement à notre vision du monde. 

 Le diagramme des pouvoirs établi pour la brasserie Jeanlain est présenté dans la figure ci-dessous.

 

Cette étude nous permet d’identifier deux collectifs potentiellement pertinents : l’Etat en zone 2 ; le label PME + en zone 3. La dernière partie de notre étude de cas consistait alors à évaluer à quel point ces deux collectifs étaient effectivement à même de se saisir du sujet et de réussir à inciter l’entreprise Jeanlain à implanter CARE.
Concernant l’Etat, il semblerait qu’il s’agisse d’un collectif ayant la capacité de contraindre la brasserie à mettre en place CARE mais n’en ayant pas forcément la volonté du fait d’une adhésion à notre objectif de maintien des écosystèmes trop faible.
Concernant le label PME+, il semble agir sur un périmètre trop restreint d’entreprises pour réellement faire de CARE un outil d’échange entre les différentes parties prenantes d’un même réseau d’acteurs.

 

Ces conclusions amenèrent à envisager deux nouvelles possibilités.

La première serait de reproduire la démarche effectuée dans cette troisième partie afin d’identifier si de même il existerait un acteur apte à faire bouger l’Etat pour qu’il adhère davantage à l’objectif de préservation des écosystèmes (l’Union Européenne par exemple ou les citoyens…). La seconde consisterait à étudier comment accroître la force de frappe du label (en envisageant des synergies entre plusieurs collectifs par exemple : un appui de l’Etat en rendant le label obligatoire pour toutes les entreprises du secteur de l’agroalimentaire par exemple ; en normalisant le label PME+ pour tous les membres du syndicat des brasseurs ou via les acteurs bancaires exigeant la labélisation PME+).

Bien que cette étude n’ait pas permis d’identifier de collectifs pertinents en l’état, j’invite le monde de la recherche à poursuivre les réflexions débutées dans cette étude sur la piste du collectif qui permettait de répondre au frein macro-systémique notamment sous deux angles : comment rendre des collectifs pertinents et donc accroître leur force de frappe et/ou leur adhésion à l’objectif de préservation des écosystèmes ; certains secteurs de la vie économique plus que d’autres présentent-ils des conditions plus favorables pour identifier des collectifs pertinents ?
Auquel cas, l’implantation de CARE pourrait débuter par ces secteurs-ci.

Plus que jamais, l’union semble faire la force, j’invite donc également les collectifs à s’intéresser à ce type de comptabilité nouvelle, dressant un portrait plus juste du monde dans lequel nous vivons.

Télécharge ci-dessous l'intégralité du Mémoire de Salomé NOCQS (Master in Management M2 - Major Sustainability and Social 
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